Numéro spécial - N°133 - 6 novembre 2012
L’ Amicale des Anciens Elèves des Collèges de Poitiers, soucieuse de ne pas laisser perdre les souvenirs glorieux
du passé, m’a demandé d’évoquer la mémoire du Chanoine Georges DURET.
J’ai accepté ce travail avec d’autant moins d’hésitation, que je suis probablement l’un des seuls survivants de ses
anciens élèves au Collège Saint Stanislas, et qu’ayant été surveillant dans cet établissement tout en étant étudiant,
je me suis beaucoup entretenu avec lui après ma scolarité et que de plus il a été mon directeur de conscience. Il se
trouve par ailleurs que l’un des voisins de chambre du Chanoine DURET et son ami, l’abbé BARDEAU,m’a donné, de sa
propre initiative une précieuse note au brouillon évoquant ses souvenirs personnels du Chanoine DURET.
Il se trouve enfin qu’étant en possession d’à peu près tout ce qu’il a écrit et enseigné, j’ai pu publier en 1987
une anthologie de ses œuvres sous le titre Georges DURET, un Pilote de hautemer et un précurseur – Textes choisis
pour son centième anniversaire.
De ce fait, je crois donc avoir tous les éléments nécessaires pour évoquer son souvenir.
Marcel GUILLOTEAU
Le professeur
Une question préliminaire peut se poser : comment appeler cette personnalité si exceptionnelle ?
Bien qu’il fut nommé en 1931 par Mgr de DURFORT, alors Évêque de Poitiers, Chanoine Honoraire,
c’est une distinction dont il se passait volontiers en raison de sa très grande humilité. Pour les élèves,
c’était tout simplement : « le Père DURET », sans y attacher le moindre nuance goguenarde, ou encore ce
surnom : « lerat », sans trop savoir pourquoi. Mais il est certain que le vocable qu’il préférait était :
« l’abbé DURET » ou « Monsieur DURET », comme ses confères l’appelaient généralement. Mais ce qu’il
publiait, il le signait « Georges DURET ». On emploiera indistinctement ici « Monsieur DURET » et
« le Chanoine Georges DURET ».
Une vie simple
Georges DURET n’était pas d’origine poitevine, mais vendéenne. Il était né le 12 novembre 1887 au hameau
de Pontereau, commune de La Bruffière, dans cette partie Est de la Vendée qui confronte le Choletais.
Ayant eu dès son enfance le vocation de devenir prêtre, il commença son séminaire en Vendée ; mais en raison
de son attirance pour Le Sillon de Marc SANGNIER, son évêque décida de l’orienter vers le diocèse de
Poitiers, plutôt que de le garder pour le sien.
Ayant donc préparé à Poitiers son Baccalauréat, il y fut reçu,et sa dissertation fut tellement appréciée
qu’elle fut publiée dans le Bulletin de l’Université, ce qui était alors un fait exceptionnel.
Faisant preuve déjà d’un esprit supérieur, il fut envoyé à Angers pour préparer sa licence. Il s’y montra,
là aussi, si remarquable en toutes matières qu’il obtint de ses professeurs des notes atteignant 18 ou 19–
et même une fois 20 sur 20 – avec des appréciations particulièrement élogieuses justifiant de telles notes.
Certains de ces travaux sont déposés aux Archives Diocésaines. Que ce fût en littérature, en latin, en grec ou en
théologie, il excellait en tout. Ordonné prêtre, il fut d’abord nommé professeur de Première au Collège Saint-Stanislas,
où il subjuguait ses élèves non seulement par l’étendue de ses connaissances, mais par leur profondeur et leur limpidité.
Il eut l’ingéniosité de dessiner pour ses élèves une « Géographie littéraire de la France »,puis une « Chronologie
littéraire de la France ». L’une comme l’autre sont d’une rare ingéniosité.
Il n’enseigna que quelques années seulement en classe de Première. Et quand on eut besoin d’un professeur pour enseigner
en classe de Philosophie, c’est vers lui qu’on se tourna. Et l’expérience démontra que son enseignement de la Philosophie,
où il se mouvait comme à plaisir, distinguant les caractéristiques des différentes écoles, était aussi
limpide que celui de la littérature. Les succès de ses élèves au Baccalauréat étaient connus de
l’Enseignement Public, aussi on se gardait bien de nommer au Lycée de Poitiers, des professeurs médiocres
Débordant largement le Collège Saint-Stanislas, sa réputation était telle qu’on le demandait
pour faire des conférences ou pour prêcher dans divers endroits de la ville et que l’on venait le consulter
dans sa modeste chambre du collège. Et c’était des personnes et même des personnalités appartenant aux
professions les plus diverses : professeurs de toutes disciplines, magistrats, fonctionnaires, gens de la
bourgeoisie, entrepreneurs, chefs d’entreprises, etc…
Ils venaient là chercher la lumière sur un cas difficile ou éclairer leur conscience avant de prendre une
décision importante. Tous étaient étonnés de la clarté et de la solidité de ses entretiens. Estimant que la
vérité doit en tout triompher et que l’erreur doit toujours être combattue, il souffrit beaucoup de voir
les troupes nazies envahir la France et répandre leur erreur après la défaite de 1940.
Aussi jugea-t-il de son devoir de repousser cette barbarie nazie en s’engageant dans la Résistance.
Faisant partie d’un réseau poitevin, le Réseau Renard, il en devint vite le maître à penser. Cela ne fut pas
long à se savoir. Aussi fut-il recherché par les services hitlériens qui l’arrêtèrent le 30 septembre 1942.
L’ayant déporté en Allemagne dans plusieurs camps successifs, il ne put résister physiquement aux traitements
inhumains dont il fut l’objet, et décéda le 30 mai 1943, ayant donc enseigné pendant trente ans.
Tel fut le déroulement de la vie du Chanoine DURET
Une frêle silhouette
C’était un homme plutôt menu et de petite taille, revêtu, été comme hiver d’une pèlerine jetée sur une soutane
quelque peu élimée, mais sans jamais aucune tache, avec également été comme hiver, un cache-nez tout aussi élimé
autour du cou. Le chapeau ecclésiastique n’était guère plus brillant. Quoiqu’il en soit de ces vêtements
véritablement pauvres, il était toujours parfaitement rasé et toujours très propre. Quant aux cheveux grisonnants
avant l’âge, ils étaient taillés si courts qu’aucune raie n’était possible. Le faciès immobile était sérieux,
très légèrement voilé d’un peu de tristesse. Mais cela ne l’empêchait pas de sourire d’un air malicieux,
comprenant à mi-mot la moindre plaisanterie et même de rire de bon cœur en société devant une situation
comique.
C’est cet homme que l’on voyait trottiner en ville, ou que l’on voyait faire les cent pas à bonne allure sous un préau
du collège, quand les élèves étaient en classe. Peut-être est-ce de ce trottinement, que lui venait le surnom du « rat ».
Quoiqu’il en soit de ce surnom, nullement péjoratif, cet homme solitaire et taciturne était de tous respecté, tout le
reconnaissant en lui une supériorité considérable. Car, cet homme ne perdait pas son temps à papoter avec ses
confrères, pour s’entretenir de faits divers sans intérêt. Quand il engageait une conversation, c’était pour
échanger des idées ou approfondir une question. Bien qu’il parût bien frêle, il ne semble pas qu’il n’ait
jamais été arrêté pour maladie. Mais il faut aussi tenir compte du fait qu’il ne laissait jamais transparaître
sa fatigue ou quelque problème de santé que ce fût, parlant encore moins de lui-même.
Le ton d'un maître
La première heure de cours nous laissa une impression ineffaçable. A vrai dire nous n’étions qu’une quinzaine
dans cette promotion de 1930-1931, ce qui lui donnait, de ce fait, un caractère plus familial. Alors que l’on
attendait, comme dans les autres classes, un commentaire sur les matières que l’on aurait à apprendre, sur la
répartition des heures de classe, etc…, ce sont de toutes autres considérations que l’on entendit, sur un ton
très différent et un langage inaccoutumé dans une classe. C’était l’avertissement d’un adulte à d’autres adultes
à propos de leur avenir. On aurait entendu une mouche voler, tant cela nous marqua profondément. Si
profondément même, que je ne tardais pas à l’inscrire sur un papier pour en garder la trace. Et c’est ainsi
que je peux, les ayant retenues par cœur, reproduire, toujours avec émotion, ces consignes à huit décennies
d’intervalle.
" Vous n’êtes pas ici d’abord pour préparer un examen. Vous êtes ici,d’abord pour rechercher la vérité.
Et toute vie humaine est faite pour rechercher la vérité, sous quelque forme que ce soit. En faisant bien
ce que l’on a à faire, on recherche la vérité de ce que l ‘on a choisi de faire. Toute vie qui ne recherche
pas la vérité est une vie manquée… Au contraire, comme dit le philosophe OLLE-LAPRUNE, « Il faut aller au
vrai de toute son âme ». "
Oui, Cher « Père DURET », vous avez fait là une œuvre ineffaçable,dont nous vous sommes immensément
reconnaissants du fait qu’ellenous a aidés tout au long de notre vie... Et je sais que c’est avec le même
souci de la vérité, que vous avez accueilli les différentes promotions qui vous furent confiées pendant une
trentaine d’années … Soyez en largement gratifié.
La première recherche de la vérité était dans celle du langage. N’employez que des mots propres, pensés, réfléchis, et
non pas des« formules toutes faites », comme il ne cessait de le dire. Combien de fois, au cours d’une heure de
classe, n’entendions-nous pas ce mot, pour nous reprendre dans nos exposés : « formule ! », avec le « r » un peu
roulé…
Et cela nous obligeait à redire sous une forme personnelle ce qui avait été énoncé de façon automatique. " C’est
avec le mot vrai, que l’on parvient à la clarté du style. ". Lui-même n’a-t-il pas écrit, que l’on ne parvient à
la clarté qu’avec « le maximum de précision et de concision ».
Quant à sa façon d’enseigner, c’était toujours d’aller du connu à l’inconnu et de suivre une méthode, et non pas de
laisser l’esprit divaguer dans tous les sens. « Enseigner, a-t-il écrit, c’est renseigner avec méthode ». Moyennant
quoi, il édifiait dans l’esprit de ses élèves, un tout cohérent, c’est à dire vrai.
Les matières enseignées
Autre souvenir marquant : une découverte.
De même qu’il y a un monde visible, palpable, sensible, « le monde extérieur », il y a un monde invisible,
impalpable, insensible, « le monde intérieur », lequel est fait de sensations, de plaisirs, de douleurs, de
pensées, de souvenirs, d’images,etc… C’est tout un monde en perpétuel mouvement qui constitue la conscience
psychologique. Nous n’y avions jamais pensé et ce fut une immense découverte. Chacun de ces faits de
conscience a ses caractéristiques et ses répercussions les unes sur les autres, autrement dit ses lois,
et c’est le domaine de la Psychologie.
M. DURET fulminait contre les philosophes contemporains, qui n’étudient que les réactions de la physiologie
sur les faits de conscience.« C’est de la psycho-physiologie, disait-il, et non de la psychologie ». Or, lui,
c’est de la psychologie à proprement parler qu’il entendait enseigner. Aussi suivait-il intégralement le très
bon ouvrage de BAUDIN, traitant bien les trois facultés de l’intelligence, de la volonté et de la sensibilité
avec leurs différentes fonctions.
Mais il en était tout autrement pour une matière qu’il considérait comme fondamentale : la Logique formelle.
Etant alors considérée comme étant d’un autre âge, elle était complètement délaissée. Et pourtant, c’est elle qui nous
renseigne si l’on est en présence ou non d’une véritable idée, d’un véritable jugement et d’un véritable raisonnement,
mais également si cette véritable idée est vraie, si ce véritable jugement est vrai, et si ce véritable raisonnement
est vrai également.Il n’y a pas d’autre moyen d’éviter les sophismes et de parvenir à la vérité. Le cours était alors
dicté.
De même en était-il d’une autre matière, elle aussi peu en faveur, la Métaphysique. Elle
aussi était entièrement dictée. La vérité exige que l’on aille jusqu’aux dernières justifications de ce que
l’on étudie : la valeur de la connaissance d’abord - puis l’être en tant qu’être ou Ontologie - l’existence
et la nature du monde extérieur ou Cosmologie rationnelle - l’existence, la nature et la destinée de l’âme
ou Psychologie rationnelle, - l’existence, la nature de Dieu et les rapports de Dieu au monde ou Théodicée.
De ce fait, rien n’était laissé dans l’ombre de ce qui est essentiel.
Pour ce qui est de la dernière discipline à proprement parler philosophique, la Morale, il
suivait les manuels se contentant de dicter des mises au point sur des sujets d’actualité : le colonialisme,
le national-socialisme…De cette façon, on avait l’impression, et c’était exact, d’être allé au fond des
choses, d’avoir tout fondé sur la vérité.Du fait de sa précision et de sa concision, M. DURET gagnait du
temps,ce qui lui permettait, non seulement de traiter tout le programme (les résultats au Baccalauréat en
étaient la preuve), mais même d’aborder d’autres considérations.
L'ouverture à la culture générale
Cet homme si cultivé avait le souci d’en faire profiter ses élèves.
Leur ayant dicté des notions d’Esthétique, il tenait à développer leur culture générale, à
les initier à la beauté dans les diverses branches de l’art, et tout spécialement dans celle de la musique.
N’oubliant pas non plus que ses élèves seraient quelques mois plus tard, mêlés à la vie active et non plus
scolaire, il tenait également à les informer des évènements importants qui survenaient dans le monde.
M. DURET fut véritablement un pilote de haute mer et un précurseur anticipant en divers points, les
constitutions Gaudium et spes et Apostolicam Actuositatem du Concile Vatican II, et qu’il les
informait des innovations qui intervenaient dans l’ Église, sous la conduite de ce pape novateur qu’était
Pie XI : les accords du Latran, alors récents et qui réglaient la question des États Pontificaux, l’essor du
clergé africain avec l’ordination de prêtres autochtones, l’inauguration de Radio Vatican un jour de Février
1931. Pour Monsieur DURET, c’était là une date historique. Car c’était là, la première fois que le Souverain
Pontife pouvait joindre tout le troupeau qui lui était confié, l’ Église catholique et même l’humanité
entière.
En matière d’art dramatique, il nous donnait connaissance d’une oeuvre alors relativement récente d’un
écrivain, dont le nom commençait àêtre connu et apprécié : L‘Annonce faite à Marie de Paul CLAUDEL,que
M. DURET considérait déjà comme étant un écrivain de génie. Et il nous avait lu une partie de cette pièce
pour nous la faire goûter. De même, nous avait-il fait connaître cet étonnant auteur que peu de lecteurs
connaissaient encore, dont le style était fortement contesté,tout en reconnaissant que sa pensée était
profonde, Charles PEGUY. Et M. DURET n’avait pas manqué de nous lire La présentation de la Beauce à
N.D. de Chartres, des passages d’Eve, ainsi que des passages de l’Argent. S’il admirait l’un et
l’autre de ces auteurs, sa préférence allait à PEGUY, « parce qu’il n’y a pas de péché dans son œuvre »,
disait-il.
Mais la plus grande audace de M. DURET était d’introduire de temps en temps, la musique dans sa classe, avec
ce qui n’était alors qu’un simple phonographe. Les années 1930-1935 étaient celles où la musique entrait dans
les foyers, grâce aux progrès des techniques d’enregistrement et au progrès des appareils diffusant le son.
Grand mélomane,(je l’ai trouvé un dimanche après-midi étudiant en silence sur son bureau une partition de
Palestrina), M. DURET s’était équipé sans tarder de disques (78 tours) et d’un petit « phonographe » portatif
à fonctionnement mécanique. Il fallait tourner souvent une petite manivelle(pour tendre un ressort). Mais le
son était satisfaisant. Les électrophones ne tardèrent pas à venir ensuite.
Nous ayant initiés aux différentes formes de musique instrumentale,(sonates, quatuors, concertos, symphonies),
il nous faisait apprécier telle ou telle œuvre qu’il avait choisie, ou tel ou tel instrument, ou tel ou tel
virtuose. BACH et BEETHOVEN semblaient avoir sa prédilection. Achaque fois, c’était pour nous une découverte
et un enchantement.En matière de peinture, M. DURET admirait autant CEZANNE que GIOTTO, FRA ANGELICO, ou
POUSSIN, dont il appréciait la construction des tableaux…. Mais il n’est pas douteux que l’accent était donné
à la musique.
L’enseignement chrétien
Monsieur DURET n’oubliait pas qu’il était prêtre et enseignant chrétien. Sans doute, nous enseignait–il la
philosophie, telle que tout esprit humain, croyant ou incroyant est capable de la découvrir. Mais si loin que
l’esprit humain puisse aller, cela est tout de même limité. Il y a en effet un grand nombre de questions qui ne
reçoivent pas de réponse.Ces connaissances sont de « l’ordre de la nature.» Mais nous avons aussi à notre
disposition d’autres connaissances, qui ne sont pas découvertes par l’esprit humain, mais qui nous ont été
données par la Révélation que le Christ Jésus a apportées à l’humanité, sans mérite de notre part. Celles qui
nous ont été ainsi données, sont de« l’ordre surnaturel », sur lequel M. DURET nous avait dicté une cinquantaine
de pages (foi, grâce, gloire). Or cet ordre surnaturel est d’une tout autre substance, bien supérieure à celle de
l’ordre de la nature. Mais, loin de contredire l’ordre de la nature, l’ordre surnaturel transfigure ce dernier,
étant la vérité totale, absolue, infinie. Dans une discussion, M. DURET ne manquait jamais de distinguer les deux
ordres. C’est donc autre chose. Aussi dans une discussion, M. DURET ne manquait jamais de distinguer les deux
ordres. « Ce n‘est pas du même ordre », disait-il, la vérité exigeant que l’on ne les confonde pas, même si l’une
est faite pour compléter l’autre.
Pour un chrétien, la préférence ne peut aller que vers l’ordre surnaturel.Car, ainsi que Saint Thomas d’Aquin l’a
écrit dans son hymne Adoro te : « Rien n’est plus vrai que cette parole de vérité » que nous a enseignée le
Fils de Dieu. Et quand dans une discussion également, la question débattue ne correspondait pas à l’ordre
surnaturel, M. DURET ne manquait pas de la juger de façon tranchante : « Ce n’est pas chrétien ».
Et il nous habituait, en tant que croyants au Christ, à tout juger aussi de ce point de vue. Car avec l’ordre
surnaturel, la vérité devenait la Vérité en personne, c’est à dire la seconde Personne de la Sainte Trinité, le
Christ Jésus lui-même. « Je suis (le Chemin), la Vérité (et la Vie) » (Saint Jean 14,6) L’on voit l’enjeu d’un
tel cheminement, et l’on comprend alors combien M. DURET avait raison de nous faire préparer pour l’examen du
Baccalauréat, le Discours de la Méthode de DESCARTES sur la recherche et les critères de la vérité.
Quelle grâce d’avoir eu un maître aussi éminent que M. DURET, (comme celle d’avoir eu en classe de première M. BAUFINE.
Avec celui-ci nous avions eu le bonheur, étant fin lettré, de goûter profondément le classicisme du XVIIème siècle). De
sorte que l’un complétant l’autre, (ils s’entendaient et s’estimaient beaucoup mutuellement), on sortait du Collège
Saint-Stanislas véritablement armés pour affronter la vie.
Dans sa dernière heure de cours, M. DURET nous laissait trois maximes de morale personnelle qu’il nous appartiendrait
ensuite d’appliquer. En réalité, c’était de véritables consignes, sans en avoir prononcé le mot.
— 1ère maxime, relative à l‘intelligence : la probité intellectuelle." Le plus grand dérèglement de
l’esprit, c’est de croire les choses,parce qu’on veut qu’elle soient, et non par ce qu’on a vu qu’elles sont en effet. "(BOSSUET)
— 2e maxime, relative à la volonté, le caractère." L’essentiel est que dans chaque ordre, la mystique
ne soit pas dévorée par la politique, à laquelle elle a donné naissance. "(PEGUY) - la mystique c’est agir en
fonction d’une idée, désintéressement.- la politique c’est agir en fonction de l’intérêt." Il faut avoir du
caractère, c’est à dire se décider d’après des principes,et non d’après des intérêts, qui sont changeants. "
— 3e maxime, relative à la sensibilité : l’admiration. " L’admiration est une occupation sublime, rare
(d’une valeur rare) et ravissante. " (Cardinal de BERULLE) " Pour former la sensibilité haute, pure, il faut
savoir admirer et non pas se défier, se défendre d’admirer. Admirer c’est être jeune, et ne pas admirer c’est être un
vieux (pas un vieillard, parce qu’un vieillard est vénérable). C’est être un vieux ". A quoi était ajoutée une
dernière maxime :
— 4e maxime, résumant toutes les autres : " Nos regards ne s’arrêtent pas sur les choses visibles, mais sur
les invisibles, car les choses visibles ne sont que pour un temps et les invisibles sont éternelles. " - Saint Paul, II Cor 4, 18.
Tel était le Chanoine Georges DURET, et l’enseignement qu’il donnait à ses élèves. Le chanoine DURET était un enseignant accompli. Mais il aimait aussi écrire, et faire bénéficier les autres de son savoir. Aussi entreprit-il une publication originale, avant de donner un nombre appréciable d’articles pour une revue pédagogique chrétienne. C’est ce qu’il reste à voir, pour connaître la totalité des activités de Georges DURET.
Les "Cahiers"
Si j’avais entendu parler de cette initiative des « Cahiers », à la vérité,je la connaissais mal. C’est
l’Abbé BARDEAU qui eut un jour la délicatesse - et l’amitié - de me donner sa précieuse collection complète
de ces fameux «Cahiers» de l’Abbé Georges DURET. Comme je regrette de ne lui avoir pas davantage manifesté
ma gratitude, tant le cadeau qu’il m’a fait est difficilement estimable, intellectuellement parlant. Et c’est
à peu de temps de là qu’il me donna son témoignage sur le Chanoine Georges DURET.
L’abbé BARDEAU avait été notre professeur d’anglais au collège Saint-Stanislas. C’était un homme de petite taille,
affligé d’une myopie telle qu’avec les années, il était devenu quasi aveugle. C’était au point d’être obligé d’avoir
un surveillant pour pouvoir faire sa classe, étant en effet incapable d’obtenir par lui-même l’ordre et le
silence, ne distinguant personne. Mais l’abbé BARDEAU, en dépit de quelques lapsus, restés célèbres chez les
élèves («il l’attrapit et le mordut »), était un homme d’une grande culture littéraire et très bon. Ne pouvant
lire pour continuer à se cultiver, ce qui était pour lui un grand sacrifice, il s’était équipé d’un appareil
radio où il savait trouver des conférences, des pièces de théâtre ou des entretiens de qualité. Lorsqu’il y
avait une émission sortant de l’ordinaire, il savait en faire profiter le chanoine DURET, son voisin de
chambre.
De son côté, le Chanoine DURET avait fait appel à l’abbé BARDEAU,pour collaborer à cette initiative, dont il y a lieu de
parler maintenant.Le chanoine DURET avait eu très tôt connaissance de l’oeuvre de PEGUY, sans que l’on sache comment,
ses amis interrogés trop tardivement n’ayant pu trouver de réponse. Il avait été immédiatement conquis par
l’ oeuvre et la personnalité de cet auteur. De toute évidence influencé par les Cahiers de la Quinzaine
de PEGUY, l’abbé Georges DURET (il ne sera chanoine que beaucoup plus tard) eut l’idée de publier à partir de
1917, une Série préparatoire aux Cahiers pour les Professeurs catholiques de France. Et dans ce premier
Cahier, il expliquait qu’il s’agissait de livraisons consacrées chacune à « un même sujet » pour des
professeurs (chaque cahier faisant par sa nature,oeuvre d’enseignement), avec le souci de la « probité
technique » et de« l’ordre vrai du réel ». Or l’ordre vrai du réel, c’était toute la nature informée de
toute la grâce.
En fait, il s’est agi effectivement de cahiers de format 14/22, d’une trentaine de pages au maximum chacun,
tous écrits en fine écriture de la main même de l’abbé DURET et reproduits par lithographie. Ce fut le premier
procédé de reproduction d’un texte en dehors de l’imprimerie.Il va de soi que la moindre imperfection du
texte original était reproduite sur toutes les feuilles de papier elles-mêmes (comme aujourd’hui avec la
photocopie). Quand on examine ces « Cahiers », on reste confondu d’admiration devant la régularité de cette
fine et nette écriture, sans jamais la moindre bavure, la moindre reprise, sans aucun dépassement dans aucune
direction, le moindre tremblement, le moindre jambage erroné. Tout cela est impeccablement aligné, espacé,
aéré d’un bout à l’autre du Cahier. Un jour, l’abbé DURET m’a confié qu’il lui avait fallu parfois une heure
pour calligraphier les 39 lignes d’une page. Quand on considère l’ensemble des 34 cahiers publiés au cours
des sept années qui se sont suivies, on a du mal à imaginer la somme de travail de simple copie que cela
représente.
Certains de ces « Cahiers » sont l’œuvre d’amis de Monsieur DURET comme le Père BRUNETEAU, philosophe et son
ex-professeur, comme Monsieur CHARLIER, sculpteur élève de RODIN et philosophe, comme le savant abbé AIGRAIN, etc…
La quasi totalité des autres sont de l’Abbé DURET lui-même. A ce travail de copiste, s’ajoutait donc celui de la
réflexion, de la recherche et de la composition.
Des amis, comme l’abbé BARDEAU avaient proposé à Monsieur DURET de l’aider pour ce travail de copiste.
Mais il avait toujours refusé,tenant à ce que le tout constitue une unité se présentant toujours de la même
façon. Par ailleurs, comme c’était lui également qui rétribuait de ses propres deniers le lithographe, il
refusa toujours une aide financière de qui que ce fût, refusant même toute idée d’abonnement. La diffusion
des 200 à 300 exemplaires que représentait chaque« Cahier », était aussi à ses frais, bien qu’il n’ait jamais
été très riche.Quant à la valeur intellectuelle de cette œuvre, elle est de premier ordre, largement de
niveau universitaire. Il y a là des études approfondies sur Pascal, Socrate, Origène, Saint Paul, Saint
Jean, Corneille....des considérations sur les arts plastiques, des propositions sur la technique générale
etc… qui n’ont d’aucune façon vieilli.
Comment ne pas signaler tout spécialement le Cahier N°7 de la seconde année, intitulé L’enfance spirituelle
de Pierre Peccator ? Il s’agit d’une autobiographie de l’enfance de Georges DURET. C’est une fine analyse
de la découverte par l’enfant du monde sensible et des réalités surnaturelles, émouvante et écrite dans une
langue inimitable. Il y a là en outre,une résonance chrétienne qui ne peut échapper au lecteur le plus
insensible. On était arrivé à la 7ème année de ces Cahiers, donc en 1924, quand Mgr de DURFORT, évêque de
Poitiers, retira la permission de continuer cette œuvre. Ce fut un coup particulièrement douloureux
pour l’abbé DURET, mais comme à son habitude il se soumit humblement sans la moindre résistance. Il écrivit
alors simplement à ses lecteurs : " Le dernier cahier finissait sur un texte de l’un de nos maîtres,
nous rappelant qu’il faut être plus que patient, qu’il faut être abandonné. Ce que nous transcrivions il y a
trois mois, il nous est demandé de le pratiquer aujourd’hui ". Et l‘abbé DURET arrêta purement et
simplement sa publication, sans ajouter un mot. Ce fut une lourde perte pour la pensée chrétienne et pour la
pensée tout court.
La collection complète des Cahiers est déposé avec d’autres écrits de Monsieur DURET à la bibliothèque
diocésaine, aux Archives Diocésaines de Poitiers. Mais il est bon de savoir que les Archives Départementales
de la Vienne possèdent également un important dépôt concernant Monsieur DURET. Les deux dépôts se complètent.
Collaboration à la "Revue de l'Enseignement chrétien"
Serait-ce à l’occasion du Centenaire de la liberté de l’enseignement que Georges DURET aurait été amené à
rédiger une étude sur« L’enseignement chrétien par la classe » ? Ce n’est pas invraisemblable,mais il est
impossible de l’affirmer. En tout cas, il y a là une étude fouillée s’étendant sur une quinzaine de pages
qui apportent la justification de la vocation de « prêtre-enseignant », qui était celle de Georges DURET.
Mais ces pages ont en outre, cette originalité de montrer que c’est par les matières enseignées elles-mêmes
(Lettres,Philosophie), que l’on peut former des chrétiens.
Serait-ce cette étude, qui aurait provoqué chez Mgr de DURFORT un changement d’attitude à l’égard de Georges
DURET, lui écrivant le 28 juin 1931, que désormais il le comptait « parmi les chanoines honoraires de sa
cathédrale » ? Et l’évêque ajoutait que c’était à l’occasion du Centenaire de la liberté d’enseignement,
et «pour les services rendus dans le professorat, pendant tant d’années».
Mais cette étude avait été connue du Directeur de la Revue de l’enseignement chrétien, qui la publia
dans ses numéros d’Avril, Mai, Juin,et Juillet 1931. Ce fut le début d’une collaboration qui devait durer
dix ans. C’est une trentaine d’études que Georges DURET lui fournira en effet, sur des questions aussi
variées que : « La pédagogie philosophique», « Les intuitions humaines », « L’objet mathématique »,
« Le problème moral de la colonisation », « Le devoir de sincérité »,« Qu’est-ce que la psychologie
scientifique » etc…
Cela lui demandait un temps de réflexion et de rédaction non négligeable, bien qu’il eut une facilité
considérable. Étant donné que sa notoriété n’avait fait que croître, on lui demandait également une
contribution pour des ouvrages de base comme Ecclesia ou Liturgia. Il y a là des pages comme
Le génie de la liturgie qui sont parmi les meilleures de son œuvre.
Le poète -
Entre temps, il publiait certaines de ses œuvres poétiques, car il était poète, usant de tous les rythmes
et de toutes les sonorités : L’heure de Prime en 1930, Mil neuf cent seize en 1932, La matinée
pensive en 1936, et Accents en 1942. Et il entretenait une importante correspondance, tant pour une
direction spirituelle que pour des échanges intellectuels avec des personnalités de premier plan, telles que
CLAUDEL, MARITAIN, BLONDEL,CHAIGNE, Francis JAMMES etc… Si le chanoine DURET fut essentiellement enseignant,
sa sensibilité était si vive qu’elle le conduisit tout naturellement vers la poésie. Ce qui était d’ailleurs
pour lui une autre façon d’enseigner. Ouvrons ici une parenthèse sur le poète.
Quand on prend connaissance de cette œuvre poétique, finalement courte, on est très surpris de constater
qu’une quantité appréciable de sujets sont écrits en diptyques ou en vers trisyllabiques, donnant l’impression
de proverbes s’inspirant de la sagesse populaire, ou même de la sagesse tout court. Que l’on en juge par ces
quelques exemples, tous tirés de « La matinée pensive» :
Fou puissant, Boue et sang.
Cinquante ans de charrue, Qui dételle se tue.
Livre plein, Huche à pain.
A l’homme chaste, La maison vaste
etc...
Mais l’on ne sera pas moins étonné, de trouver des alexandrins ayant la fermeté des sentences cornéliennes.
Ainsi toujours dans La matinée pensive :
« Obéir est exploit de noblesse et d’amour. » ou encore :
« La loi monte la garde et l’on ne passe pas. » ou également :
« Un homme veut d’abord ce qui d’abord importe. »
Mais on ne connaîtrait pas le poète Georges DURET, si l’on ne faisait pas état de maints passages, où l’on
retrouve les aimables badinages de la Renaissance. Ainsi dans « L’heure de prime » :
« Les demoiselles libellules
Déjà pullulent
Sur les étangs pleins de soleil. »
« Petit grillon, dans ses tranchées
De sa trachée
Boit à longs traits le jour vermeil ».
Mais on ne saurait oublier non plus, la grande inspiration classique dans ce bel alexandrin :
« La plaine d’or frémit au vent des îles glauques. »
Si restreinte que soit son œuvre poétique, on ne serait pas pardonnablede n’en pas souligner toute la
profondeur. Et il est dommage de ne plus pouvoir la trouver désormais que dans les bibliothèques.
Refermons cette parenthèse.
Entre temps aussi, on le demandait en ville, ici pour prêcher, là pour faire une conférence, ailleurs pour
faire entendre une œuvre musicale. Comme Saint François de Sales, il ne savait pas refuser un service.
Même s’il avait une grande facilité d’élocution, il n’en reste pas moins qu’il préparait toujours à l’avance
ses interventions et cela en marchant,comme les Péripatéticiens de la Grèce antique; de sorte que l’on a
aucune trace de ces interventions qui étaient grandement appréciées.
Son dévouement pour la cause de l’enseignement chrétien a été irréprochable. Et il était connu dans toute la
France. Par l’abbé BARDEAU qui nous a fourni tant de détails intéressants, nous savons qu’il calquait sa vie,
autant qu’il le pouvait, sur celle des religieux, travaillant et se détendant aux mêmes heures que les élèves.
Il soutenait que l’on doit, dès le premier coup de cloche, arrêter immédiatement son travail par obéissance,
ou le reprendre au moindre signal donné. Sa vie était calquée sur la vie monacale, ainsi qu’on le verra plus
loin.
Sa bibliothèque
Il n’est pas possible de ne pas évoquer cette question. Sa chambre était une accumulation de livres,
garnissant intégralement du sol au plafond, trois murs de sa pièce unique, ainsi que la petite entrée
d’environ deux mètres de long sur un peu plus d’un mètre de large. Deux portes donnaient l’une sur le
couloir, l’autre sur la chambre elle-même. Si celle donnant sur le couloir était toujours ouverte, celle
donnant sur sa chambre était toujours fermée. On ne peut pas ne pas se rappeler, que lorsque l’on frappait
à cette porte, la réponse que l’on entendait, était invariablement celle-ci : « ouvrez », où le « r »
était légèrement roulé. Cette entrée était tout aussi encombrée de livres que le reste de la pièce.
Le seul mur de sa chambre, où il n’y avait pas de livres, était occupé par un misérable petit lit, une table
de toilette sans eau courante et une petite armoire pour son linge. Au centre de la pièce un pauvre bureau,
près duquel était placée sa chaise et pour le visiteur l’unique fauteuil, tout aussi inconfortable.
Il y avait bien aussi un petit poêle, mais celui-ci n’était jamais allumé, étant recouvert de piles de livres,
comme il en existait à plusieurs endroits de la pièce, à même le sol devant les rayonnages, bourrés eux mêmes
de livres posés à plat, sur ceux qui étaient debout.
Cette bibliothèque, qui devait compter plusieurs milliers de volumes impressionnait dès qu’on la voyait.
C’était sa seule richesse, non de valeur vénale, tout étant broché, mais de valeur intellectuelle
(littéraire et philosophique) et spirituelle.
Se sachant recherché par les Allemands, en raison de sa « résistance », il avait fait don de sa bibliothèque
au Collège. Or, quand il fut arrêté et emmené en Allemagne, cette magnifique bibliothèque fut littéralement
pillée de façon scandaleuse, tout le monde venant se servir, sans que personne ne réagisse, m’a-t-on dit,
moi-même étant alors prisonnier de guerre. Perte irrémédiable et « fait divers » peu glorieux…
Quoiqu’il en soit de ce méfait, s’il l’avait su, il est probable qu’il n’aurait pas réagi, se rappelant avec
Pascal qu’une bibliothèque n’appartient qu’aux grandeurs de l’esprit et que les grandeurs de l’esprit ne sont
rien devant les grandeurs de la charité.
Le Saint
Il y a dans les Pensées de PASCAL, une discrimination bien connue entre les trois ordres de grandeurs,
auxquelles rien n’échappe : les grandeurs de la chair, les grandeurs de l’esprit, les grandeurs de la
charité. « Il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s’il n’y avait pas de
spirituelles, et d’autres qui n’admirent que les spirituelles, comme s’il n’y en avait pas d’infiniment
plus hautes dans la sagesse ». (Br.793)
Georges DURET était fortement imprégné de cette discrimination. De lui-même, il n’attachait aucune importance
aux choses matérielles, (ce que Pascal appelle les grandeurs charnelles), mais il en attachait beaucoup
aux choses de l’esprit, (à condition toutefois qu’elles fussent vraies), et plus encore à celles
de la sagesse. On sait en effet,qu’il avait ressenti très tôt sa vocation pour le sacerdoce. De ce fait,il
avait donc montré très jeune sa préférences pour les choses religieuses,et donc pour ce que Pascal appelle
« La sagesse ». Et cela n’avait fait que croître en lui au fil des années. Si bien qu’on ne pouvait pas
l’approcher, sans être persuadé de rencontrer un homme de Dieu. Ayant donc été surveillant au Collège
Saint-Stanislas, tout en étant étudiant, ainsi que je l’ai déjà indiqué, j’ai eu la grâce insigne de pouvoir
le côtoyer pendant des années. Sa sainteté fut pour moi une conviction qui ne fit que croître avec les années,
mais qui devint une certitude, quand j’ai appris la façon dont il avait accepté les traitements effroyables
des camps d’extermination, faisant l’édification de ses camarades d’infortune. C’est pourquoi j’ai considéré
que c’était un devoir pour moi de recueillir, pendant qu’il en était encore temps, près de ceux qui l’avaient
connu, les témoignages de sa sainteté.
Leur ayant adressé dès 1988, un lettre circulaire en ce sens, j’ai reçu un nombre non négligeable de témoignages,
qui se sont échelonnés au cours des années suivantes. Ils ont été déposés aux Archives Diocésaines. Tous ces témoignages
ont exprimé, d’une manière ou d’une autre, combien Georges DURET menait une vie d’ascète et qu’on ne pouvait
pas ne pas le considérer spirituellement, comme un homme très au dessus du commun, et même comme un saint.
C’est dans ces conditions que j’ai saisi Mgr ROUET, le 25 mars 1995 d’une demande pour que soit ouvert un dossier
tendant à la béatification de Georges DURET. Après étude de cette requête, Mgr ROUET y fit droit en prenant
deux décrets, en date de Noël 1995, l’un pour l’ouverture de la cause de Georges DURET, l’autre créant une
Commission Théologique pour que soient rassemblés les écrits de Georges DURET. Le postulateur fut le Chanoine
Bernard DROUAULT aujourd’hui décédé, et le Vice postulateur, le Père Pierre MAUBERGER. Quant au Président de
la Commission théologique, ce fut le Père André RIDOUARD aujourd’hui décédé également. Cette Commission réussit
à rassembler les écrits de Georges DURET, et le Père RIDOUARD en fit le dépôt à l’Evêché à Pâques 2000.
Le Décret d’ouverture demandant à toute personne ayant un témoignage écrit ou oral sur Georges DURET, de le
présenter au Postulateur ou au Vice-Postulateur, il m’a semblé utile de dégager des attestations reçues, les
principaux témoignages concernant les vertus de Georges DURET. Ce qui paraît le plus caractéristique de ce
qui a été recueilli, sera regroupé sous les paragraphes suivants, pour clarifier ces citations: probité
intellectuelle et recherche de la vérité, détachement absolu, humilité, don de soi, vie spirituelle,
sacrifice suprême.
Avant de faire le résumé de ces témoignages, me permettra-t-on une remarque personnelle ?
L’admiration de Georges DURET pour PASCAL était une chose que tout le monde connaissait. Mais, je me suis
souvent demandé si l’étude de PASCAL par Georges DURET, au cours de ses études classiques ne l’avait pas
marqué de façon profonde. J’ai été très frappé en effet parles remarques de la sœur aînée de PASCAL,
Gilberte épouse de Mr PERIER, dans la vie qu’elle a écrite de son frère, et de les retrouver à peu près à
l’identique chez Georges DURET. Cette vie de PASCAL est si édifiante que c’est d‘elle que BAYLE a écrit :
« Cent volumes de sermons ne valent pas cette vie-là ».Or, Gilberte PERIER écrit : « Dès
son enfance, il ne pouvait se rendre qu’à ce qui lui paraissait vrai évidemment ». Et ailleurs, dans
la même œuvre, on lit : « Cet esprit si grand, si vaste et si rempli de curiosité, qui cherchait avec
tant de soin la cause et la raison de tout, était en même temps soumis à toutes les choses de la religion
comme un enfant ». Dernière citation pour nous limiter à ces trois : « Il avait un soin très
grand de ne point goûter ce qu’il mangeait. »
Or cette recherche continuelle de la vérité, cette curiosité intellectuelle et le renoncement au plaisir de
la table étaient identiques chez l’un et chez l’autre. Me trouvant placé à table, au Collège, de façon telle
que je pouvais voir facilement Georges DURET de l’autre côté de la table et de biais, j’avais l’impression
qu’il pensait à tout autre chose qu’à ce qui se passait autour de lui et encore moins à ce qui était servi,
ne parlant même pas à ses voisins continuant sa réflexion intérieure. Toutes ces ressemblances et il y en a
une quantité d’autres dans l’oeuvre de Gilberte PERIER, sont très impressionnantes et ne peuvent être le fait
du hasard.
Recherche de la vérité et probité intellectuelle
Comment ne pas rappeler ici la déclaration fondamentale de Georges DURET à ses élèves, à sa première heure de
classe ? « Vous n’êtes pas ici d’abord, pour préparer un examen. Vous êtes ici d’abord, pour rechercher
la vérité. Et toute vie humaine est faite pour rechercher la vérité.» C’était là un principe dont il
était très profondément imprégné, la vérité étant pour lui primordiale. Dans l’étude qu’il a faite pour
obtenir son diplôme d’études supérieures, et intitulé Pour définir l’esthétique de Corneille, Georges
DURET fait cette forte remarque : « Agréable ou non, étrange ou non, folie ou scandale,la vérité est ce
qu'elle est… Le vrai convainc et entraîne de sa " naturelle autorité" ». Idée qu’il complète dans son
œuvre inédite « L’idée régulatrice » par ces mots : « Qu’elle plaise ou déplaise, c’est en tout cas la
vérité, qui plait ou déplait. Or la vérité n’est pas moins salutaire, désagréable qu’agréable ».
Dans « La formation chrétienne par la classe », il écrit : « Les exigences de la vérité sont pratiques
non moins que spéculatives… Quelle faute plus caractérisée contre l’esprit, que de prétendre éluder des
conséquences, dont on accepte les principes, ou inversement de vénérer les effets, dont on renie les causes ?
Un homme d’expédients … n’entend pas plus tôt énoncer une loi, qu’il songe aux moyens de la tourner. L’homme
de caractère, est celui qui règle sa vie sur des principes et non sur des intérêts ».
On comprend alors que M. BAUFINE ait pu donner ce témoignage dans l’ouvrage collectif publié en 1947 que
Georges DURET était « la droiture absolue, sans compromission aucune ».
Quant à l’enseignement qu’il donnait, le professeur de philosophie PUCELLE, précise dans le même ouvrage
collectif de 1947, que GeorgesDURET, était « obstinément fidèle aux grandes lignes de l’enseignement
traditionnel des Pères et de la Scholastique, et néanmoins ouvert à toute vérité d’où qu’elle vint ».
Détachement total
Sans doute n’est-il pas superflu, de rappeler que l’attachement spéculatif de Georges DURET aux trois ordres de
grandeur de PASCAL,était pour lui, primordial. Mais, en fait, il avait fait passer dans sa vie,de façon rigoureuse, le détachement des « grandeurs de la chair ». Rien ne comptait pour lui de la nourriture, du vêtement, du logement et même du simple minimum de bien-être, comme un peu de chauffage par temps froid. Or bien qu’une de ses nièces m’ait dit textuellement : « Il était toujours gelé », il ne se chauffait jamais l’hiver, si basse que soit la température. Pareil sacrifice, compte tenu de son propre tempérament,ne pouvait se réaliser que moyennant un effort de volonté héroïque. Aurait-il eu le pressentiment de sa fin tragique ? et s’entraînait-il au sacrifice ? Personnellement, j’en suis persuadé. S’il paraissait indifférent à la nourriture, au vêtement, etc… ce n’était qu’une apparence. Il suffit pour s’en rendre compte de se reporter à sa poésie où tant d’atmosphères, de couleurs, de parfums et de saveurs s’harmonisent. Sa sensibilité était des plus affinée, mais il la contenait d’une main ferme.
Ce témoignage personnel est amplement confirmé et même complété par divers témoins, et pas des moindres.
« Pour lui, le vêtement, le confort ne comptaient pas; il passait les hivers sans feu… Cet ascète…à la
pauvreté franciscaine, … était de surcroît un poète… Un poète auquel l’ascétisme chrétien ne ferme pas les
yeux, mais purifie le regard » dit l’abbé COINDRE. Le professeur PUCELLE ajoute : « Sans feu
hiver comme été, il s’enveloppait dans son manteau pour travailler ». A quoi le chanoine MORILLON,
qui fut son élève, fait écho : « C’était un ascète. Il ne chauffait jamais sa chambre. »
C’est un fait, que tous ceux qui connaissaient Georges DURET, savaient.
M. BAUFINE, de son côté, apporte des précisions de grand intérêt.« Admettons, qu’il ait réduit
volontiers au minimum toutes les préoccupations d’ordre vestimentaire et qu’il n’ait mis aucune vertu,
à porter une pèlerine trouée, un chapeau miteux et des souliers aux semelles béantes, il n’en reste pas
moins que, passant d’ordinaire tout l’hiver sans feu, il souffrait du froid, puisqu’il arpentait sans fin
le couloir sur lequel donnaient nos chambres, afin de se réchauffer un peu. Il reste surtout qu’il
n’attachait aucune importance aux intempéries et pas davantage à la nourriture. Il ne se plaignait jamais.
J’ai pris pendant dix ans, mes repas en face de lui, je ne l‘ai pas une seule fois entendu parler de ce
qu’il mangeait ou de ce qu’il buvait. Il prenait ce qu’on lui offrait, indistinctement. Parfois, il arrivait
en retard : tout était froid, potage, viande, légumes. Il n’avait pas l’air de s’en apercevoir et ne
réclamait rien de ce qui pouvait lui manquer. Je n’ai jamais vu une indifférence aussi complète, aussi
constante ».
Voilà un témoignage précis et de toute importance. Ayant partagé les mêmes repas et ayant été à même de faire
les mêmes constatations,je ne puis que confirmer pleinement chacune de ces remarques. En Août 1991, je
recevais une lettre d’un ancien élève du collège Saint Stanislas, Emile FLUCHAIRE, qui en trois lignes
résumait tout : « Il vivait par ailleurs, comme un ascète, dédaignant tous les biens de ce monde :
honneurs, argent, confort, nourriture même. Son comportement était vraiment dans la vie de tous les jours,
celui d’un pur esprit,d’un saint ». On ne peut mieux dire.
Humilité
Alors que Georges DURET avait toutes les possibilités de se montrer,de se placer sur le devant de la scène,
il resta toujours très humble.En effet, bien qu’il conservât la grande estime de ses anciens maîtres de
l’Université d’Angers, que les succès que remportaient ses propres élèves aux examens fussent connus du
Rectorat, les relations épistolaires qu’il entretenait concernassent parfois de hautes personnalités du
monde intellectuel, malgré tout cela, il resta dans le rang. Comme le dit, l’un de ses anciens professeurs,
au séminaire de Poitiers,le chanoine BODET, il n’a jamais cherché « le moindre gain d’ambition personnelle. »
Il est curieux de constater que trois témoins se rejoignent sur la question de la « modestie. » Le professeur
PUCELLE dit que « son maintien était modeste et recueilli ». L’enseignante Simone LANDRY (qui
deviendra la bénédictine Soeur Baptista LANDRY) dit que Georges DURET était une « âme d’élite, qui
cherchait à se faire oublier par la modestie extrême de l’abord et du discours » et l’abbé BARDEAU de
dire de son côté « qu’il était le plus modeste et le plus charitable d’entre nous ». Cette
convergence exprimée dans l’ouvrage collectif de1947, méritait d’être soulignée.
Le Doyen de la Faculté de Droit, René SAVATIER, quant à lui, évoque un fait précis très évocateur de cette
modestie, de cette humilité :« Son humilité l’avait toujours poussé à s’effacer. Aux Journées Universitaires
de Mauroc qui groupaient annuellement les universitaires de toute l’Académie, il se rangeait derrière les
aumôniers des autres groupes, souhaitant pour eux les premières places d’officiants et de prédicateurs ».
Et d’ajouter que dans les discussions, « il joignait l’autorité d’un docteur et l’humilité d’un saint ».
Dans une lettre qui m’est parvenue en 1991, Soeur Baptista LANDRY écrit : « Son abnégation était devenue
si habituelle qu’il n’existait vraiment plus à ses propres yeux, qu’il se comptait pour rien ». On ne
peut aller plus loin dans le domaine de l’humilité.
Charité, don de soi
La contiguïté des chambres de Monsieur BAUFINE et de l’abbé BARDEAU avec celle de Georges DURET, nous a
permis d’avoir des renseignements indiscutables concernant ce dernier. Leur témoignage est donc précieux.
Voici ce que nous dit Monsieur BAUFINE : « Détaché de tout et de lui-même, Monsieur DURET pouvait livrer
aux autres son trésor. Ce fut l’oeuvre d’une inlassable charité. Rarement homme fut aussi peu jaloux de garder
à lui ce qu’il savait ; comme de se réserver des loisirs ou de choisir à qui il donnerait. Cumul des charges,
suppléances, simples surveillances à l’étude ou en promenade, il acceptait ce qu’on lui demandait ».
« Il faisait penser à Saint François de Sales qui ne savait pas refuser un sermon à ceux qui l’en priaient »,
dit l’abbé BARDEAU. Que d’oeuvres à Poitiers ont eu recours à son zèle bienveillant. Ici, il allait prêcher,
là il donnait une conférence… ailleurs, il allait donner une audition de ses disques ».
Monsieur BAUFINE rapporte un fait précis qui montre bien ce continuel don de lui-même. « Quand je revins
à Saint-Stanislas en Février 1932, après la mort de ma mère, M. le chanoine BRUNETEAU m’accompagnait. Il
entra chez M. DURET avant moi. Me rejoignant au bout de quelques minutes, il me dit : " Savez-vous que
j’ai trouvé notre ami en train de corriger les copies de vos élèves ? Il a voulu vous épargner ce surcroît." ».
Le professeur de Philosophie Pierre MENARD rappelle, sur un autre plan, la réflexion peu connue d’un de nos
saints poitevins. « L’abbé DURET pratiquait cette maxime de Saint André-Hubert FOURNET, qu’on doit toujours
à son prochain, en quelqu’état qu’il vous trouve ou qu’il vous dérange, la charité d’un quart d’heure
d’attention ; mais quand il s’agissait d’un pénitent, la gloire de Dieu exigeait souvent davantage ».
Ce qui permettait à Simone LANDRY, d’écrire : « J’entendais Monsieur DURET faire sienne, la définition
que le Père CHEVRIER donnait du prêtre : " Un homme mangé ". De fait, sans qu’il ne le laissa jamais paraître,
Georges DURET était bien, et de bien des manières, un " homme mangé ", m’en étant personnellement souvent
rendu compte.
Vie spirituelle
Du fait qu’il ne célébrait pas sa messe quotidienne au collège, mais en ville pour je ne sais plus quel
groupement ou organisme, et du fait également qu’il ne présidait jamais non plus « la grand’ messe » du
dimanche, comme tous ses autres confrères à tour de rôle, nous ne l’avons jamais vu à l’autel pour le
sacrifice eucharistique. Il m’est donc impossible de parler de la façon de célébrer sa messe, de son
recueillement, de sa piété…Mais des entretiens que nous avons pu avoir ensemble au plan spirituel,ainsi
que des principes généraux qui étaient les siens, et plus encore de sa vie personnelle, il résulte que
tout en distinguant nettement au plan spéculatif, le spirituel et le temporel, Georges DURET les pratiquait
de façon si serrée, qu’il n’était pas facile de connaître quelle était exactement sa vie spirituelle. Il
faisait bien ce qu’on lui avait demandé de faire, ou ce qu’il estimait devoir faire et il le transformait en
vie spirituelle, en le faisant précéder d’une courte intention de prière. Si bien que chez lui, tout se
trouvait étroitement lié. Et c’est en procédant ainsi qu’il arrivait, en période scolaire, à faire tant de
choses et à les faire chrétiennement.
Mais, pendant les vacances, nous savons par le chanoine Joseph CHARIER,un peu son compatriote, « qu’à
la Bruffière, sa paroisse natale, je le vis devant le Saint-Sacrement, en prière, au milieu de la matinée.
Et son curé m’assura : Tenez : c’est là qu’après sa messe et son petit déjeuner,il passe la plus grande
partie de la matinée, avant de rentrer à la ferme de ses parents. A Saint-Stanislas, alors, j’ai remarqué
qu’il passait aussi de nombreuses heures à la chapelle, blotti dans un coin sombre. » Ce temps de
prière devant le Saint-Sacrement, dont j’ai été plusieurs fois témoin est nettement confirmé par Monsieur
BAUFINE : « J ‘ai souvent été témoin de sa visite au Saint-Sacrement à la tribune de la chapelle, dans
l’ombre du soir où il s’enveloppait de silence ». Au plan de la direction spirituelle, je puis dire
qu’il insistait sur les deux points suivants :
- il faut attacher de l’importance à son devoir d’état et bien l’accomplir,
- il faut se donner une règle de vie et s’y tenir.
Pour lui, cela passait avant toutes les pratiques (qui ne sont pourtant pas négligeables). Qui ne voit, à
travers ces deux consignes, le souci constant de Georges DURET d’aller à l’essentiel ? Être fidèle à la
règle de vie que l’on s’est donnée, c’est se comporter en chrétien conséquent avec soi-même, comme bien
faire son devoir d’état le faire consciencieusement et chrétiennement. Encore une fois, tout cela c’est
aller à l’essentiel. Mais aller à l’essentiel, c’est aussi rechercher la vérité.
On aimerait savoir, de quoi était faite sa vie spirituelle. C’est lui-même qui nous l’a laissé entrevoir,
dans une homélie que l’on peut qualifier de prémonitoire et qu’il a prononcée aux Journées Universitaires
de Poitiers, en Avril 1936. Mais, avant d’en donner ici quelques lignes bouleversantes,c’est l'abbé COINDRE
qui nous donne la tonalité en précisant l’attitude de Georges DURET après la décision épiscopale de 1924.
« Il donna la mesure de son esprit de foi et de sacrifice, en se soumettant simplement, dignement, en
silence… Il souffrit profondément et longtemps, mais il obéit et se tut ». Quant à l’homélie d’Avril
1936 sur le Mystère de la Croix, elle fut largement diffusée, tant elle avait impressionné l’auditoire. On
ne peut malheureusement qu’en donner ici quelques lignes : « La charité consiste à donner plus qu’on a
reçu, à donner sans recevoir, à tout donner sans rien recevoir… L’holocauste est l’acte propre de pur amour…
Mais comprendre la croix, après tout c’est la porter... Croix, … sur laquelle il faut s’étendre pour mourir ».
Le sacrifice suprême
Il m’est impossible d’apporter le moindre renseignement, sur ce qui s’est passé à Poitiers pendant la
dernière guerre. Ayant été mobilisé en 1939, je n’ai été démobilisé qu’en 1945 seulement, du fait que
j’avais été fait prisonnier de guerre. Tout ce que je sais, je ne le tiens que de personnes dignes de foi,
qui me l’ont appris à mon retour de captivité. Ces témoignages, concernant en particulier Georges DURET,
sont impressionnants. Une première question se pose et mérite d’être élucidée : Est-ce pour l’ Eglise ou
pour la France, que Georges DURET a exposé sa vie et est mort finalement ? Une autre question doit être
aussi clarifiée : Quel rôle a-t–il joué dans la Résistance ? Il est certain que ces interrogations, méritent
une réponse précise.
Pour Soeur Baptista LANDRY, il y a là comme une sorte d’évidence. « Depuis l’avènement d’Hitler, des
idées païennes avaient submergé l’Allemagne… Dès avant l’armistice de Juin 1940, le devoir de « résister»
parut évident à M. DURET. Il n’est pas douteux qu’il soit « mort » pour la défense des valeurs chrétiennes ».
Voilà ce que m’écrivait cette moniale bénédictine en 1991.
La réponse à cette question n’était pourtant pas aussi évidente pour tout le monde. En effet, l’ex-député
Henri GALLET, avoué à la Cour d’Appel de Poitiers, m’écrivait, en 1991 également, ce qui suit : « Au cours
d’une réunion privée en 1942, durant près de trois quarts d’heure, avec des mots simples, accessibles à tous,
dominant une émotion, on peut dire, une passion spirituelle intense, le chanoine DURET décortiquant tout
ce que contenait de violence, d’injustice, de criminel appel à des actions barbares, la doctrine du nazisme
hitlérien, s’attacha courageusement à démontrer l’absolue et définitive contradiction avec la foi chrétienne
». Ce témoignage est important, car il montre que la décision de « résister » au pouvoir hitlérien
était fondée sur des arguments nombreux et décisifs.
C’est si vrai qu’Henri AUROUX, son camarade de déportation, nous précise dans l’ouvrage collectif de 1947 :
« S’appuyant sur un texte de Saint Thomas, il rédigea une brochure, où il montrait comment la résistance à
l’oppression, pouvait constituer parfois le plus sacré des devoirs ». Mais ce serait une grave erreur de
croire que ce fut pour lui une décision facile à prendre. Autre chose était de préciser in abstracto
où était le devoir, face à une situation complexe, autre chose était de s’engager personnellement dans un
groupe de Résistance, où il risquait la mort. Loyal avec lui-même, il s’engagea ; mais non sans une lutte
intérieure tragique, ainsi qu’il résulte de plusieurs passages de ses pathétiques et derniers poèmes,
intitulés Accents.
L’abbé COINDRE précise dans l’ouvrage collectif de 1947 : « M. DURET est mort pour son pays, il est
mort, aussi pour sa foi… En refusant de confondre l’ordre chrétien avec « l’ordre nouveau », il avait
conscience de sauver les plus hautes valeurs spirituelles et le christianisme même…Il n’est donc pas
possible d‘enlever au témoignage héroïque de Georges DURET, sa signification et sa portée essentiellement
religieuses ». La réponse à la première question qui se posait est donc sans ambiguïté, Georges DURET
est mort à la fois pour l’Eglise et pour la France. Mais quand on dit « pour l’Eglise », entendons par là
qu’il faudrait dire plus exactement : « pour la défense des valeurs chrétiennes ».
Quant à la seconde interrogation, la réponse est déjà donnée : Georges DURET fut le théologien de la
Résistance elle-même. En rédigeant la brochure, dont nous a parlé Henri AUROUX, il justifiait la décision
de ceux qui apportaient leur contribution à la Résistance; et il stimulait les hésitants, ce qui n’était pas
mince. C’est le 30 septembre 1942, qu’il fut arrêté. Les Allemands ayant appris qu’il appartenait au
« Réseau Renard », il sut ainsi qu’il était recherché. Se sentant traqué, il aurait pu se cacher, beaucoup
d’amis lui auraient trouvé un refuge. Il semble bien, qu’il ait été quelque peu agité dans les jours qui
précédèrent son arrestation, s’inquiétant en particulier pour son père, déjà âgé. Mais la réflexion si
généreuse qu’il avait déjà faite à plusieurs : « Notre cause manque de martyrs », l’emporta
sur toutes considérations, non sans se faire violence à lui-même, avons-nous dit, et il refusa de fuir.
Il fut d’abord conduit à la prison de la Pierre Levée, où il retrouva tous les autres, qui avaient été
également arrêtés. Il y édifia déjà ses détenus par son souci des autres, demandant que la nourriture qu’on
lui apportait, soit donnée à d’autres qu’il estimait plus malheureux. De là, il fut emmené avec ses camarades
en Allemagne, séjourna peu de temps dans différents camps, pour aboutir en définitive à Wolfenbüttel, à une
dizaine de kilomètres de Braunschweig. Si durant l’occupation de la France par l’armée allemande, on ne savait
pas tout de la barbarie nazie, on en savait assez pour être assuré qu’entrer dans la Résistance, c’était
s’exposer à la peine de mort. Georges DURET le savait. Et par une sorte de prémonition, il s’était entraîné
à supporter le froid, alors qu’il était toujours gelé, en ne faisant jamais de feu dans sa chambre...
Ce qu’il allait connaître était bien autre chose…
Ce qui se passait exactement dans ces camps d’extermination, fut connu par les déportés qui eurent la chance
de revenir en France. Et par deux de ceux-là, on a su quel fut le supplice de Georges DURET. Si le témoignage
d’André GUILLON est court, il est cependant capital, étant donné qu’il confirme pleinement Henri AUROUX, sur
un point primordial. A Hinzert, dit Henri AUROUX, « J’étais à la chambre 7 le voisin de lit du chanoine DURET.
Il me suffit de clore un instant les paupières pour le revoir, crâne ras, chapelet pieusement passé autour du cou,
se glissant dans la mince couverture, où il allait grelotter la nuit durant. (...) Le chanoine DURET
subit à Hintzert, d’odieuses brimades. Et je ne parlerai pas de ces déshabillages continuels qui soumettaient sa
pudeur et sa réserve à rude épreuve. Mais comment ne pas rapporter ici le véritable supplice qu’on lui fit
endurer par une froide journée d’hiver ? Sous, je ne sais quel prétexte, on l’obligea à rester tout près
d’une demi-heure sous ce que nous appelions, improprement d’ailleurs, la douche froide… Quelque temps après
cette douche, il dut, comme nous tous d’ailleurs, se relever un soir et aller passer en chemise, une partie
de la nuit sur un palier exposé à tous les vents. Le lendemain, la pneumonie se déclarait ».
A partir de là, le peu de forces qui lui restaient le lâchèrent progressivement…Au plan spirituel, il
n’oublia jamais qu’il était prêtre, si dure que fût sa condition. C’est pourquoi, il fut toujours à la
disposition de tous ses camarades pour leur apporter le soutien spirituel, dont ils pouvaient avoir besoin.
Henri AUROUX nous donne à cet égard des renseignements précieux, parce que bien circonstanciés et confirmés
par André GUILLON.
« Au risque des plus terribles représailles, nous dit Henri AUROUX –car s’il était une chose
formellement interdite au camp, c’était en premier lieu, l’exercice de tout ministère religieux – le chanoine
DURET, se glissait le soir dans les baraques où l’on pouvait, savait-il, avoir besoin de lui, et là dans les
lavabos ou dans la travée des lits, il confessait en cachette et donnait l’absolution ». Nul doute
qu’il ait exercé là un ministère du plus haut prix, auprès des catholiques démunis de tout soutien spirituel.
C’est ce témoignage important, quant au ministère sacerdotal de Georges DURET en déportation,qui est confirmé
par André GUILLON, bien que de façon succincte avec en plus, un élément qui est loin d’être sans intérêt :
sa privation de nourriture.
En captivité, le comportement de Georges DURET a plus d’une fois édifié.On possède en particulier un
témoignage dont on ne saurait trop souligner l’importance. C’est grâce à Henri AUROUX, dont chacun reconnaît
la parfaite objectivité, que nous le possédons. Ce dernier connaissait un certain M. PETIT, Commissaire
divisionnaire de Police, lequel avait été particulièrement impressionné par l’attitude de M. DURET durant le
supplice des douches. Et il l’avait confié à Henri AUROUX, lequel nous dit avoir retenu ce témoignage
« mot-à mot», tant il lui avait paru exceptionnel. « J’étais son compagnon de cabine. Durant les 20
minutes que dure ce supplice – et c’est un supplice terrible que cette alternance de froid et de chaud, où
domine et de beaucoup, le froid – il demeura immobile, les mains croisées comme pour la prière dans une
espèce d’extase, où il semblait éprouver un divin plaisir à souffrir pour la cause à laquelle il s’était
donné tout entier. Seize ou dix-sept siècles plus tôt, il eût fait un martyr et sans doute un saint. Sa
charité était inépuisable. Elle a d’ailleurs hâté sa fin, car il se privait pour donner son pain et une
partie de sa soupe à des gens, qui du reste, la plupart du temps, n’en valaient pas la peine et abusaient
de son infinie bonté. » C’est donc, véritablement de façon héroïque qu’il a pratiqué les vertus
chrétiennes et exercé son ministère sacerdotal.
Chacun put en effet se rendre compte que Georges DURET déclinait fortement et que sa fin approchait. Aussi
un autre camarade prit l’initiative d’obtenir d’un gardien-chef qu’un autre prêtre, déporté lui aussi, vint
lui apporter un peu de réconfort et le confesser. Celui qui prit cette heureuse initiative était un certain
M. MAROT, Inspecteur Primaire à DAX. Et le prêtre, qui eut la permission de venir près de Georges DURET, fut
l’abbé BILLARD, curé-doyen de la Villedieu du Clain. Georges DURET mourut seul le 30 mai 1943, jour de la
fête de Sainte Jeanne d’Arc.« Sa mort, » nous dit Henri AUROUX, « causa parmi les détenus
politiques de la prison de Wolfenbüttel, une consternation générale ». et Henri AUROUX d’ajouter
qu’il avait rencontré l’abbé BILLARD aux douches et que ce dernier lui avait dit : « Notre ami a vu
venir la mort. Il l’a accueillie courageusement en chrétien et en prêtre. Il a offert sa vie pour l’Église
et pour la France ». On comprend alors que l’abbé BARDEAU, son voisin de chambre au collège Saint Stanislas
ait pu écrire : « Je garde le souvenir des nombreuses années que j’ai passées, à côté de ce prêtre si
remarquable, par la science et la vertu. Je l’ai aimé et je l’ai admiré, et maintenant que je sais, qu’il
est mort martyr de la fidélité à ses principes de foi et de patriotisme, à son Dieu et à sa patrie, je
l’honore à l’égal d’un saint. »
Photo ci dessus : Marcel Guilloteau en compagnie de Soeur Baptista et du Père Joseph Coindre, aumônier du collège public Henri IV
Conclusion
Tel fut ce professeur d’une exceptionnelle modestie, que l’on n’imaginait pas, en relations épistolaires avec
les plus grands esprits que possédait alors la France : Claudel, Maritain, Blondel, Charlier, Francis Jammes,
etc… Peu de gens en outre, avaient autant de relations surplace avec le monde de la bourgeoisie, des
entreprises, du monde universitaire ou judiciaire etc… On venait le consulter de toutes sortes de milieux, et
on savait que ce prêtre était non seulement une source intarissable de savoirs humains et chrétiens, mais en
même temps une haute conscience morale, quant aux conseils spirituels que l’on pouvait lui demander.
Qui ne savait à Poitiers, que le chanoine DURET était effectivement un ascète, vivant chaque hiver sans feu ?
Et qui ne savait, qu’au plan politique, il était plutôt avancé, comme on disait, étant démocrate chrétien,
que, de ce fait, il ne cessait de protester contre la barbarie nazie ?
Sa passion constante fut donc la recherche de la vérité en quelque domaine que ce fût, qu’il s’agisse des
choses de la matière, ou de celles de l’esprit, ce qui constitue tout le réel. Mais il n’oubliait jamais que
les réalités de l’esprit l’emportent de loin sur celles de la matière. Si M. DURET vivait aujourd’hui, il
fulminerait contre cette forme de matérialisme qu’est la société de consommation. Celle-ci est d’autant plus
scandaleuse qu’elle gaspille de façon éhontée alors que des peuples entiers meurent de faim. Il ne manquerait
pas de rappeler un certain nombre de ses invectives passées, lesquelles étaient de sérieux rappels à l’ordre
ou même de graves injonctions à agir. Et comme elles émaneraient de quelqu’un ayant qualité pour le faire,
étant par lui-même un véritable exemple,elles ne manqueraient pas d’avoir une rude portée autour de lui.
D’autant plus que nous savons que son engagement effectif dans la Résistance lui coûta beaucoup. Il nous en a
fait la confidence dans les derniers poèmes qu’il publia en 1942, peu avant son arrestation, sous le Accent.
Autre chose est l’adhésion de l’esprit et du coeur, autre chose est l’adhésion par le comportement et la conduite.
Quand il en est ainsi, on comprend alors la force qui émane d’alexandrins comme ceux de la Matinée pensive,
véritables sentences : « La loi monte la garde et l’on ne passe pas. » ou « Un homme veut
d’abord ce qui d’abord importe », si dures qu’en soient les conséquences, car ils comportent l’engagement suprême de leur
auteur. Le chanoine Duret était donc prêt à affronter la mort, fût-ce de manière héroïque, comme celle de
Jeanne d’Arc qu’il a qualifiée de « merveille ». Celle-ci a su coordonner de façon admirable l’amour de la
patrie et l’amour de Dieu. Or, par un dessein évident de la divine Providence, c’est le 30 mai 1943, jour de
la fête de Jeanne la Pucelle,qu’il remettait son âme à Dieu pour la douce France et l’ Eglise romaine.
Marcel GUILLOTEAU
L’Amicale félicite et remercie Marcel Guilloteau pour son œuvre d’introducteur de la cause de Béatification du chanoine Duret, ainsi que pour la réalisation de cette page.